17 Juillet 2016
Je suis Marc, 22 ans.
Je suis venu à Nice pour fêter ce jour, j'en suis parti pour faire le deuil. Simplement fêter ce jour patriotique, seulement passer un moment entre potes, avec sa famille, rêver en regardant ce feu d'artifices. Et soudain, ce camion blanc qui a aspiré tant de vies… Du sang, des visages désespérés et baignés de larmes de leur proches, de cette poussette vide, et le souvenir de toutes ces personnes mortes. Je voulais juste faire la fête, je venais de retrouver mes amis d'enfance. Jamais, jamais, en leur donnant rendez-vous ici, à la promenade des anglais, aurais-je pensé signé leur arrêt de mort. Ce matin, 15 juillet 2016, je suis en vie, mais pas eux. Pourquoi ?
Je suis Elise, 64 ans.
J'étais à Nice avec Noah, mon petit fils que ma fille m'avait confié pour les vacances. Pour le faire décrocher de son téléphone portable et passer du temps avec lui, je lui ai proposé d'aller voir le feu d'artifices sur la promenade des anglais. Il a accepté. Sur le chemin, nous avons beaucoup discuté. En attendant le feu d'artifices, il m'appris à utiliser mon tout nouveau téléphone portable. Il était très patient. Puis nous avons regardé le feu d'artifices ensemble, au milieu de la foule. Soudain, on a entendu des cris, tout le monde s'est mis à courir dans la foule. Mais déjà, un camion blanc nous fonçait dessus. Noah s'est retourné une dernière fois vers moi, nos regards se sont croisés, et la foule l'a emporté. Je lisais la peur dans ses yeux, la peur de mourir sans encore se connaître. Lorsque je me suis retourné, le camion était devant moi. J'ai aperçu le conducteur, et je me souviendrais toujours de son regard. C'est peut-être une mort bête, après 56 ans sur terre, que sa vie soit prise avec des dizaines d'autres, par un homme et son camion. J'ai vécu, j'ai eu le temps de me connaître. Je sais que ces images resteront à jamais dans la mémoire de Noah, mais je ne peux pas les effacer. Jamais il n'oubliera ce 14 juillet. Combien de personnes vont devoir se construire sur ces morts, cet événement, cette tristesse, sous le choc ?
Je suis Lola, 6 ans et 1/2.
Je suis allée voir le feu d'artifice au stade avec mon papa et ma maman. J'ai joué et parlé avec mes copines. Pendant le feu d'artifices, il y avait des musiques Disney qui passaient. Tout le monde chantait et rigolait. Mes parents m'ont dit qu'il fallait rentrer, que j'étais trop petite pour me coucher tard. J'ai râlé, puis j'ai quand même dit au revoir à toutes mes copines. A la maison, je me suis mis en pyjama, puis je suis retourné dans le salon pour faire le bisou du soir à papa. Il était devant la télévision. Sur l'écran, il y avait un corps avec plein de sang, et un homme debout à côté. Il y avait un micro et on entendait l'homme pleurer, et dire : « ma femme, ma femme ». Elle bougeait plus, sa femme. Elle parlait plus, et elle était couverte de sang. Mon père s'est retourné et il m'a vu. Il a crié : « Lola ! ». Ma mère est arrivé en courant et elle m'a caché les yeux avec ses mains. Mais je suis pas bête, moi, j'avais compris qu'ils étaient morts tout ces gens.
Je suis Khaleb, 34 ans.
Je voulais fêter ce 14 juillet avec ma femme et mon fils, mais mon patron n'a pas voulu me donner de congé. Je suis barman dans une boîte à Nice. Dans la boîte, la musique était à fond, l'ambiance à son comble, personne ne se doutait de l'enfer qui se tramait dehors. Je suis sorti dehors pour fumer ma clope, et j'ai vu des gens courir partout, c'était la panique. J'ai essayé de savoir ce qui se passait, mais tous étaient très choqués. J'ai quand même compris qu'il y avait un attentat. Alors j'ai ouvert les portes de la boîte, pour que tout le monde s'y réfugie. Ce soir là, dans la boîte, il n'y avait pas que des adultes, et à la place de danser, les gens pleuraient. C'est en voyant une mère serrant son fils contre elle jusqu'à l'en étouffer que j'ai pensé à ma famille. J'ai paniqué, je suis allé à la promenade des anglais ; il y avait des cadavres partout. J'ai entendu des coups de feu, la police est arrivée. Les policiers nous ont dégagés. Pendant tout le reste de cette nuit, et encore ce matin, j'ai fait tous les hôpitaux, et appelé partout. Ce n'est qu'il y a pas longtemps que j'ai appris la mort de ma femme. Mais mon fils n'a pas été retrouvé, alors je garde espoir. En la mémoire de ma femme, j’élèverai notre fils. Et je lui ferai oublié ce massacre commis par un connard qu'aucun gosse, que personne n'aurait dû vivre.
Je suis la vie arrachée à tous ces gens. Je suis l'innocence prise de force à ces enfants. Je suis la vie enlevée à tous ces gosses. Je suis les larmes de leurs proches. Je suis la honte de la femme de ce meurtrier. Je suis le reste de conscience de ce fou. Je suis l'épuisement de tous ces policiers. Je suis l’acharnement courageux de ces médecins. Je suis tous ces musulmans maltraités et insultés. Je suis l'unisson et la force des français. Je suis Nice. Et j'aime la liberté et la paix.